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Santé mentale et détention

Le Centre suisse de compétences en matière de sanctions pénales (CSCSP) a publié en 2022 un guide de prise en charge psychiatrique dans le cadre de la privation de liberté. Ce manuel rassemble les bonnes pratiques pour améliorer l’accompagnement des personnes atteintes dans leur santé mentale dans les lieux de détention. La Dre Corinne Devaud Cornaz, médecin adjointe au Centre de psychiatrie forensique du RFSM et responsable de l’Unité de thérapie, fait le point sur cette thématique importante du soin psychiatrique en lien avec une sanction pénale.

Quelle est la procédure usuelle lorsqu’une personne entre en détention au niveau des premiers suivis psychologiques ?

La personne détenue est d’abord rencontrée par un infirmier des services médicaux de l’établissement pour un entretien d’entrée qui investigue les maladies transmissibles, les questions d’addiction et de santé mentale plus des questions somatiques habituelles. Selon les résultats de l’évaluation, la situation est signalée aux collaborateurs du Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM), qui fixent un entretien d’évaluation le plus rapidement possible.

Et par la suite ?

Le RFSM assure l’ensemble des prestations psychiatriques et psychothérapeutiques de tout détenu incarcéré ainsi que leur suivi en liberté conditionnelle. Ces prestations consistent en des suivis psychiatriques d’ajustement et de maintien de la prescription des psychotropes et traitements de substitution aux opiacés des détenus. Les suivis psychothérapeutiques de chaque cas sont assurés par les psychologues et infirmiers sous la responsabilité des psychiatres. La palette de prestations comprend notamment des suivis de crise à l’entrée des détenus avec évaluation protocolée selon les standards du Groupe romand de prévention du suicide. Il peut s’agir également de soutien pour toute forme de décompensation psychique en début ou en cours d’incarcération. Enfin, nos équipes assurent le suivi d’évaluation et d’accompagnement lors de mise à l’isolement pour sanction, la mise en place de thérapie de groupe dans le domaine des addictions, ou encore les suivis de longue durée pour les traitements ordonnés sous forme ambulatoire.

Quel est le but du manuel de prise en charge psychiatrique dans le cadre de la privation de liberté ?

Il vise une uniformisation des pratiques au sein de la centaine d’établissements pénitentiaires existants aujourd’hui en Suisse. Il est destiné tant aux décideurs du milieu carcéral qu’aux prestataires en soins de tous les cantons.

Que propose-t-il comme outils concrets ?

Le manuel propose de favoriser l’accès à des formations continues et des ateliers interdisciplinaires. Il recommande aussi d’assurer une meilleure fluidité des prestations de soins en milieu carcéral en recommandant aux décideurs pénitentiaires de contractualiser des collaborations avec les prestataires de soins de chaque canton, ce qui est le cas à Fribourg. Les nouvelles conventions signées entre la Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS) et la Direction de la sécurité, de la justice et du sport (DSJS) datent de novembre 2020.

«Uniformiser les pratiques, permet d’améliorer la prise en charge psychiatrique dans les lieux de détention»

Le nombre de personnes souffrant de problèmes psychiques en détention dans le canton de Fribourg a-t-il augmenté ?

La prévalence des troubles psychiques chroniques, comme les évolutions schizophréniques (5 à 7 %), les troubles de l’adaptation (30 à 40 %) et les troubles de l’addiction (40 à 50 %), demeure stable. Toutefois, comparativement à la population générale, la prévalence des troubles mentaux présentée par la population carcérale demeure très élevée. Cette augmentation peut être expliquée partiellement par le statut d’enfermement lié à l’incarcération, la séparation d’avec les proches et l’obligation de vivre en promiscuité. Néanmoins, compte tenu qu’une proportion grandissante de cette population doit être désormais expulsée à l’issue de l’exécution de leur peine, les troubles de l’adaptation anxiodépressifs associés à des troubles du comportement à visée auto-agressive ou à caractère d’intimidation sont en constante augmentation. Cela mobilise de manière croissante les équipes psychiatriques du RFSM, parfois au détriment de la prise en charge d’autres détenus et des suivis ambulatoires dont la demande des différents partenaires augmente aussi (Ministère public, juge de police, Tribunal des mesures de contraintes et avocats défendant l’intérêt de leurs clients).

Les problématiques psychiques ont-elles évolué ces dernières années ?

Comme évoqué plus haut, ce sont les troubles de l’adaptation liés aux situations d’expulsion qui sollicitent de plus en plus les prestataires psychiatriques. D’autres phénomènes préoccupants sont également apparus depuis deux ans environ. Les problématiques de dépendance liées à la consommation de méthamphétamine ainsi que les évolutions sur un mode schizophrénique d’une catégorie croissante de jeunes détenus particulièrement mal intégrés en raison de leur statut d’immigrés ; suite à la désinstitutionalisation des asiles psychiatriques, ces jeunes ne sont plus inscrits au sein de dispositifs de soins. Ils « échouent » pour ainsi dire au sein des établissements carcéraux suite à de petits délits, souvent dans des états psychiques qui, lorsqu’ils sont présentés par d’autres catégories de population, requièrent sans conteste des hospitalisations. Toutefois, en raison du rationnement des soins psychiatriques, cette catégorie de détenus n’a pas accès aux infrastructures hospitalières, d’où les recommandations formulées par le manuel qui insiste sur la nécessité de mettre à disposition les prestations adéquates également pour ces détenus.

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Et la prise en charge de ceux qui en souffrent (en détention) a-t-elle évolué ces dernières années ?

Depuis 2013, l’équipe de l’Unité thérapeutique du RFSM Fribourg | Centre de psychiatrie forensique n’a cessé de se développer. Partie de deux postes à temps partiel (1,3 EPT) elle évolue désormais, lorsque tous les postes sont repourvus, à presque 8 EPT, répartis entre 14 collaborateurs. Néanmoins, le déploiement optimal de ces prestations des professionnels de santé du RFSM peut encore être amélioré. L’actuel projet d’agrandissement du site de Bellechasse contribuera notamment à résoudre un déficit de locaux. En outre, les nouvelles approches consistent à privilégier les interventions de case management, ainsi que le recours à des référentiels théoriques déjà validés dans les milieux pénitentiaires. Enfin, une collaboration interdisciplinaire étroite avec les partenaires pénitentiaires, criminologiques et de l’exécution de peine (SESPP) est désormais de mise et de fait en pleine expansion, ce qui sollicite aussi de nouvelles ressources.

Ces problèmes psychiques peuvent mener à des suicides. Comment les prévenir ?

La prévention du suicide réside dans l’amélioration de la continuité des soins dispensés par les prestataires de soins psychiatriques. Cela implique un renforcement des structures ambulatoires avant la période de l’incarcération, l’information immédiate au RFSM de la présence du patient psychiquement fragile en prison, et la présence d’effectifs psychiatriques suffisants pour évaluer le patient rapidement.

Corinne-Devaud-Cornaz

Expert
Corinne Devaud Cornaz

Psychiatre et psychothérapeute, la Dre Corinne Devaud Cornaz est médecin adjointe au Centre de psychiatrie forensique du canton de Fribourg, et responsable de son Unité desthérapie. Le centre est une entité du Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM) ; il déploie ses activités au travers de l’Unité d’expertises psychiatriques et de l’Unité de thérapie.

PROPOS RECUEILLIS PAR Kessava Packiry
PHOTOS Nicolas Repond

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